Le palmarès du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre a récompensé, samedi 11 octobre, des reportages sur Bahreïn, la Syrie et la Centrafrique. L’Agence France-Presse (AFP), le quotidien britannique Times, France Inter ou encore la BBC et Arte font partie des médias récompensés. Ces prix ont été remis dans un contexte d’intensification de la violence à l’égard des journalistes, encore nombreux à avoir perdu la vie en 2014, après une semaine de débats mettant en lumière la nécessité de protéger la profession de reporter.
À l’issue d’une semaine de débats sur les difficultés et l’avenir de la profession de reporter de guerre, en présence des parents de Camille Lepage, assassinée en Centrafrique, et des parents de James Foley, exécuté par l’organisation terroriste État Islamique, le jury international composé d’une quarantaine de journalistes et présidé par Jon Randal, correspondant de guerre pour le Washington Post pendant plus de trente ans, a récompensé dans la catégorie photo, le photoreporter de l’AFP Mohammed Al-Shaikh pour son reportage réalisé au Bahreïn, intitulé «La majorité chiite poursuit ses manifestations contre le pouvoir».
Ils ont souligné leur volonté de mettre aussi en lumière les conflits oubliés par les médias.
Un reportage sur les décapitations primé
Quatre des sept prix décernés distinguent des reportages sur la Syrie. Le Prix du public a été remis à Emin Ozmen (SIPA Press) pour son reportage «Syrie: la barbarie au quotidien». Ce reportage montre en gros plan des décapitations de soldats de l’armée régulière syrienne par des djihadistes.
Ce reportage a sucité de vifs débats au sein du jury et a interpellé la profession, qui choisit généralement de ne pas publier ce genre d’images afin de ne pas relayer la propagande des bourreaux. «Cette réalité sanglante que nous vivons au Moyen-Orient, il faut que tout le monde la constate et que l’on agisse pour empêcher cela», a plaidé, quant à lui, le photographe turc Emin Ozmen.
CATÉGORIES TV ET RADIO
Dans la catégorie TV en formats courts, le jury international a décerné le Prix à Lise Doucet pour son reportage sur la ville de Yarmouk, diffusé sur BBC News, tandis que celui du Prix de Lycéens de la Fondation Varenne a distingué Ian Pannell pour BBC News également. En grand format télévisé, Marcel Mettelsiefen a été récompensé pour Syrie : la vie, obstinément , réalisé pour Arte Reportage.
La Syrie toujours pour le prix de la catégorie presse écrite, Anthony Loyd est récompensé pour «I thought of Hakim as a friend. Then he shot me» («Je pensais qu’Hakim était un ami. Et il m’a tiré dessus») son reportage paru dans le Times, qui éclaire la difficulté des journalistes à couvrir le conflit syrien.
En radio, Olivier Poujade est primé pour son reportage L’opération Sangaris dans le piège de Bangui , réalisé en Centrafrique pour France Inter, et le prix du Web Journalisme a récompensé le travail collectif Grozny : nine cities .
Enfin, c’est à l’unanimité que le jury a décerné le prix photo du jeune reporter à Alexey Furman pour son saisissant reportage sur la crise ukrainienne.
«Les journalistes sont des témoins à supprimer»
Les 21e rencontres Prix Bayeux-Calvados demeureront marquées par l’hommage rendu jeudi aux journalistes décédés ces derniers mois, quelques semaines après les décapitations successives de quatre otages dont deux journalistes américains, James Foley et Steven Sotloff.
«Les journalistes sont des témoins à supprimer», constate tristement Christophe Deloire, directeur général de Reporters sans Frontière.«On a avec l’EI une poussée à bout de la perversité de l’instrumentalisation», avec l’annonce à chaque exécution du nom du prochain otage qui sera tué. «C’est un degré dans l’horreur qui n’avait pas été atteint», souligne Christophe Deloire, également membre du jury.
James Foley «est mort pour donner la parole à ceux qui ne l’ont pas»
Les parents de James Foley et la famille de Céline Lepage, journaliste de 26 ans tuée en mai en Centrafrique, sont venus jeudi se recueillir au Mémorial des reporters de Bayeux, qui rend hommage aux quelques 2.290 journalistes décédés depuis 1944 dans l’exercice de leurs fonctions. Une 28e stèle, avec les 113 noms des journalistes tués entre avril 2013 et août 2014, a été dévoilée.
Le témoignage de Diane et John Foley restera l’un des moments les plus émouvants de cette semaine riche en symboles. «James ne doit pas être mort en vain. Il est mort pour donner la parole à ceux qui ne l’ont pas». Ils ont, comme Maryvonne Lepage, la mère de Céline, appelé à Bayeux à «poursuivre l’engagement» de leurs enfants.
«Le nombre de journalistes tués en 2014 est déjà extrêmement élevé»
Un hommage particulier y a également été rendu à Anja Niedringhaus, photographe allemande de l’agence Associated Press (AP), 48 ans, tuée en avril en Afghanistan, à l’Afghan Sardar Ahmad, 40 ans, pilier de l’AFP en Afghanistan, tué en mars avec sa femme et deux de ses enfants par un commando taliban, et à Ghislaine Dupont, 57 ans et Claude Verlon, 55 ans, deux journalistes de Radio France Internationale (RFI) tués au Mali en novembre 2013.
«Le nombre de journalistes tués en 2014 est déjà extrêmement élevé – 51 – après 71 sur toute l’année 2013 et un triste record en 2012 (88)», a précisé Christophe Deloire jeudi.
Plusieurs centaines de personnes ont assisté à cette cérémonie dont les deux ex-otages en Syrie Edouard Elias (23 ans), photographe indépendant, et Didier François, d’Europe 1 (53 ans à sa libération en avril), un temps retenu avec James Foley.