Le baromètre social 2019 des Assises

Comme chaque année, le baromètre social présenté par Jean-Marie Charon, sociologue des médias, chercheur au CNRS et à l’EHESS, est rendu possible par les données fournies par la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels, par la Correspondance de la presse, par Elise Plissonneau de l’Observatoire des métiers de l’AFDAS, par les syndicats de journalistes – SNJ, CFDT et SNJ-CGT – et cette année par de nombreux responsables de rédactions et RH de la PQR.

Les chiffres de la CCIPJ :

Les journalistes détenteurs de la carte de presse étaient 34 890. C’est-à-dire que l’on passe sous la barre des 35 000. Le recul se confirme avec – 6,68% depuis 2009. Soit aussi un rythme d’érosion qui ralentit.

Accompagnant ce phénomène le nombre de premières demandes est toujours au-dessous de celui des débuts de la décennie, soit 1788 contre 2024 et un recul de 11,6%

L’écart entre les sexes se réduit avec 52,8% d’hommes pour 47,17 de femmes. Le nombre de femme est quasi stable alors que le nombre d’hommes diminue sensiblement (-2342 depuis 2009 = -11,2%).

Le mouvement de précarisation s’amplifie avec 9181 personnes soit (26,31%). Plus d’un journaliste sur quatre, sachant que le baromètre 2018 avait montré qu’il ne s’agit que de la face immergée de l’iceberg.

 

Principaux événements de l’année :

Comme chaque année ce baromètre fait un rappel des principaux événements qui ont marqué l’emploi dans les rédactions. Ceux-ci sont plutôt moins nombreux que les années précédentes en 2018, sachant que les mouvements de fonds de départs naturels, mais aussi recrutements échappent à cet inventaire, d’où l’intérêt de focus sectoriels, en l’occurrence cette année, la presse quotidienne locale. L’année 2019 se présente en revanche sous des aspects plus sombres qu’il s’agisse du PSE à L’Humanité ou des clauses de cession lié au rachat de Mondadori France par Reworld Media.

Agences :

Le plan de suppression de postes engagé par l’AFP devrait conduire à une diminution de 23 postes de journalistes.

Presse quotidienne locale :

Ebra :

Dans le cadre général de la réorganisation des titres du groupe et de l’orientation « Digital first » – développement du numérique payant, une série de plans de départs. Ceux-ci concernent notamment les rédactions du Journal de Saône et Loire et Bien public avec 11 départs volontaires, 3 n’étant pas remplacés ; du Progrès où le plan de départ prévoit 27 départs volontaires de journalistes. Au global la rédaction perd 10 postes pour se situer à 245. Simultanément le titre recrute quatre journalistes (deux community managers, un webmaster, un monteur vidéo).

La Marseillaise :

Suite au plan de reprise, la rédaction voit partir 28 journalistes. L’effectif global salarié étant ramené à une cinquantaine de personnes.

Corse Matin :

Un plan de départs volontaires est engagé, suite aux déficits accumulés. Il concerne une dizaine de journalistes sur une soixantaine.

La Dépêche de Tahiti :

Le Plan de continuation du titre pourrait conduire à des départs.

Magazines :

L’échec des lancements d’Ebdo, Vraiment et Aime se traduit par une profonde déconvenue pour plusieurs dizaines de journalistes qui avaient cru dans ces nouvelles aventures éditoriales. Ils étaient 35 pour Ebdo, 15 pour Vraiment et 11 pour Aime.

L’Express :

Suite à la prise de participation majoritaire d’Alain Weill, les clauses de cession, voire un PSE devraient conduire au départ de 40 journalistes sur un total de 127.

Causette :

Le sauvetage du magazine par le groupe Hildegarde devrait permettre le maintien de 14 emplois sur 18.

Mondadori France :

Un nouveau plan de départs volontaires concerne 20 postes de journalistes, après les précédents, quasiment chaque année. Il précède surtout le rachat du groupe par Reworld Média et les clauses de cessions qui risquent d’être nombreuses, vue la réputation sulfureuse du repreneur.

Psychologie Magazine :

Le titre procède à la suppression de 6 postes et au non renouvellement de 6 CDD, soit diminution de 20% de l’effectif, hors pigistes.

Les Inrockuptibles :

Suite à une Rupture Conventionnelle Collective, il est prévu le départ de 25 salariés sur 70.

L’Etudiant :

L’arrêt du magazine imprimé conduit à la suppression 14 journalistes salariés sur 27.

 

Audiovisuel :

La situation de l’emploi des journalistes en radio et télévision est à nouveau dominée par les politiques conduites par la tutelle qui impose à nouveau des restrictions d’effectifs.  A France Télévision il est question de 1000 « équivalents temps plein » d’ici 2022. En radio c’est surtout le réseau de France Bleu qui est sous pression. Le SNJ parle de la suppression de 75 équivalents temps plein, en 2018, après 52 en en 2017, se concentrant principalement sur le réseau France Bleu.

 

Pure players d’information :

Buzzfeed France :

L’arrêt du pure player, décidé par sa maison mère américaine, conduit au licenciement des 14 salariés du site.

Mashable France :

L’arrêt de Mashable France conduit à un reclassement très partiel de deux journalistes – au sein de France Média Monde – sur une équipe de 8 journalistes.

Explicite :

Le dépôt de bilan conduit à la suppression de la vingtaine d’emplois du site.

 

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Focus PQR :

Ce focus intervient à un moment charnière dans l’évolution de la PQR. Il ne s’agit pas seulement ici de statistiques de l’emploi, mais de tendances de fond concernant les compétences des journalistes, les profils professionnels et l’organisation des rédactions.

Pour rappel, nous parlons de 60 titres qui ont réalisé un chiffre d’affaire de 2,18 milliards d’Euro en 2016, selon la DGMIC. Cela représentait un recul de 19,7% sur 10 ans (539 M€). Ce recul est principalement lié à la baisse de 38,7% des ressources publicitaires, toujours selon la DGMIC.

Le secteur employait 5782 cartes de presse en 2017 (16% du total). Ils étaient 6399  à leur maximum en 2007. Il est donc question d’un recul de 9,6%, supérieur à la tendance générale de la profession. La précarité est en revanche moins importante avec 5,18% de CDD et 9,8% de pigistes.

Contrastes :

Du point de vue de l’évolution de l’emploi des journalistes l’hétérogénéité domine, avec des titres qui n’ont eu recours à aucun plans sociaux, tel Ouest-France ou Le Télégramme. De très nombreuses situations sont marquées par des plans de départs, tels qu’à La Voix du nord, Sud-Ouest, La Dépêche du midi, etc.. Il y a eu également des clauses de cession, lors de mouvements dans la propriété des titres comme à La Voix du Nord, à L’Union – L’Ardennais, chez EBRA ou encore pour les journaux du midi. Quelques titres ont également connu des plans de reprises assortis de départs, suite à des dépôts de bilans comme à Paris Normandie, Nice matin ou La Marseillaise.

Tendance à la baisse des effectifs des rédactions :

Les statistiques fournies par l’Observatoire des métiers de la presse sont sans appel. L’emploi des journalistes a davantage reculé en presse quotidienne locale, qu’en moyenne générale pour la profession : -9,6% contre -6,68%. La tendance est toujours au recul du nombre de journalistes, même si la plupart des responsables de rédactions parlent d’un ralentissement, voire un retournement prochain de la tendance. Nombreux sont ceux qui insistent sur les recrutements – 90 à Rhône-Alpes-Bourgogne, par exemple – notamment de nouveaux profils (experts, référents). Même si ceux-ci ne compensent pas les départs naturels (de 15 à 20 par an à Ouest France par exemple pour un effectif désormais de 590).

Tournant décisif des stratégies :

La presse quotidienne locale est à un tournant : celui de l’entrée de plain-pied dans l’entreprise multisupports, avec des programmes de type « Digital first ». Celui du développement de stratégies mixtes articulant gratuit et payant.

Digital first :

Les stratégies dites « digital first » impliquent des redéploiements substantiels au sein des rédactions. A commencer par un renforcement et une transformation des compétences des équipes d’éditeurs. Celles-ci servent les différents supports, en même temps qu’elles doivent s’adresser aux différents publics (âges, milieux sociaux, niveaux d’études, urbains, péri-urbains, ruraux, etc.).

Soit davantage d’effectifs aux sièges des journaux en tension avec le réseau local. Soit de nouveaux profils et nouvelles compétences telles que la maîtrise des réseaux sociaux, du participatif, du marketing éditorial pour les éditeurs.

Numérique payant :

Le numérique payant en presse quotidienne locale, comme ailleurs, repose sur « l’information à valeur ajoutée » – non substituable. C’est-à-dire que l’on s’éloignerait des « journalistes Shiva ».

L’information à valeur ajoutée est produite par des profils traditionnels de journalistes, renforcés en qualité, qu’il s’agisse d’enquête, de reportage, d’expertise, avec en prime une capacité à s’exprimer sur les différents supports numériques, y compris vidéo ou podcast.

L’information à valeur ajoutée a besoin de ces nouveaux profils spécialistes en data, design, vidéo, participatif, etc. Des journalistes sachant travailler avec des développeurs, des designers, des statisticiens des spécialistes en intelligence artificielle, des marketeurs.

Là encore se pose de manière cruciale les questions d’arbitrages entre siège et local, entre journalistes et correspondants locaux, voire entre journalistes et « robots ». Chez SudPresse du groupe Rossel (Belgique), comme chez Tamedia (Suisse), il est question de tester des « aspirateurs à données locales ». Pour des effectifs moins nombreux ou pour s’appuyer sur des équipes de journalistes produisant une information à valeur ajoutée plus solides ? Tel est le débat dans nombre d’entreprises.

Le fil de Tours