De Budapest à Paris, la naissance d’une vocation
Endre Ernö Friedmann naît le 22 octobre 1913 à Budapest, dans une famille juive non pratiquante, propriétaire d’une maison de couture. Jeune, il se découvre un intérêt aiguisé pour la politique et la littérature, notamment sous l’influence du peintre et poète hongrois Lajos Kassák, lui-même fort impliqué dans les mouvements d’avant-garde. A l’âge de 17 ans, il participe, au sein des mouvements étudiants de gauche, à des actions politiques contre le régime conservateur de l’amiral Miklós Horthy. Il est arrêté, puis relâché, à condition de quitter la Hongrie.
C’est ainsi qu’Endre Friedmann s’exile à Berlin en 1931. Il poursuit alors des études de Sciences politiques au sein de la Deutsche Hochschule für Politik. Il se destine alors au journalisme. Afin de vivre, il travaille comme apprenti développeur dans une agence de photos, avant de faire la rencontre de Simon Gutman, fondateur de l’agence de photojournalisme Dephot. Ce dernier lui confie en 1932 un reportage sur la conférence que tient Leon Trotski à Copenhague.
Mais la montée du nazisme et l’accession au pouvoir d’Hitler en 1933 le contraignent, lui l’immigré juif gauchiste, à s’exiler de nouveau. Il gagne Paris en 1934, où il retrouve de nombreux réfugiés politiques, journalistes ou artistes, tous en quête de contacts et de soutiens. Endre Friedmann, qui se fait désormais appeler André, fait la connaissance de David Szymin (Seymour) et de Henri Cartier-Bresson, avec qui il se lie d’amitié. C’est à cette même période qu’il rencontre Gerda Pohorylle, une réfugiée juive allemande d’origine polonaise, militante anti-fasciste et travaillant également la photo. Elle devient rapidement sa compagne et décide de prendre en main sa carrière de photographe.
Le "mythe Capa"
Tous deux travaillent un temps pour l’agence Alliance Photo. Mais les ventes se font rares. Gerda invente alors le nom de Robert Capa, alias André Friedmann, mystérieux photographe américain, autour duquel elle parvient à susciter l’intérêt des rédactions parisiennes. Le subterfuge fonctionne et le nom de Capa commence à circuler. Elle-même décide de signer ses propres clichés sous le nom de Gerda Taro.
En 1936, la Guerre d’Espagne éclate. Le couple, solidaire des républicains espagnols, part volontiers couvrir le conflit pour les magazines Vu et Regard. Robert Capa réalise alors la photographie d’un milicien espagnol frappé mortellement par une balle. Ce cliché fait le tour du monde. Bien que controversé, il contribue à faire naître le « mythe Capa » et devient emblématique de la Guerre d’Espagne.
À partir de mars 1937, le couple travaille pour le journal Ce Soir, hebdomadaire récemment créé par le Front Populaire et dont la rédaction en chef est confiée à Louis Aragon. De passage à Paris, Robert Capa apprend la mort de Gerda Taro, écrasée par un char alors qu’elle couvrait les violents combats de Brunete. Capa, accablé, accepte cependant de couvrir une dernière bataille en Espagne, avant d’accompagner le documentariste hollandais Joris Ivens en Chine, sur le front de la seconde guerre sino-japonaise.
"Le plus grand photographe de guerre du monde"
En 1938, Capa retourne en Espagne pour un dernier reportage sur le départ des Brigades Internationales. La même année, la prestigieuse revue anglaise Picture Post lui consacre huit pages et l’honore du titre de "plus grand photographe de guerre du monde".
En 1939, l’occupation allemande le contraint à s’exiler de nouveau. Il choisit New-York où il retrouve sa mère et son frère. Il parvient alors à décrocher une autorisation de l’armée américaine pour suivre les combats sur les différents fronts. Il se rend à Londres, en Afrique du Nord, en Sicile. Le 6 juin 1944, il se retrouve sur les plages de Normandie, où il a la chance de photographier la première vague du débarquement. Puis il couvre la Libération, en France, mais aussi en Allemagne et en Belgique.
Une fois la paix revenue, celui qui s’est fait connaître comme "photographe de guerre" se retrouve sans travail. Il songe alors à se reconvertir.
C’est alors qu’il connaît une brève idylle avec Ingrid Bergman qu’il suit à Hollywood sur le tournage du film d’Hitchcock Notorious. Il y prend la place de photographe de plateau. Mais la liaison tourne court. Elle reste cependant dans les mémoires pour avoir inspiré à Hitchcock son chef d’œuvre Fenêtre sur Cour.
Magnum Photos, une aventure collective
En 1947, Capa a l’idée de créer une agence photographique d’un genre nouveau. Son idée séduit ses amis de longue date, Cartier- Bresson, Chim, George Rodger et William Vandivert, qui se lancent dans l’aventure de l’Agence Magnum. Cartier-Bresson rapporte la création de la coopérative : "Chim était mon ami, le penseur, même si on faisait tous tourner la boutique. Capa était l’aventurier. On a créé Magnum après des discussions passionnées au Dôme. Je me souviens d’une bagarre. Le patron gueulait : "Cassez les tasses et sauvez les soucoupes !" La note se calculait au nombre de soucoupes entassées. On était très différents, mais on s’entendait bien."
Cette coopérative de photographes a pour but de faire reconnaître à leur juste valeur le travail des photographes-reporters. Il s’agit pour ceux-ci de conserver les droits sur leurs clichés et d’en maîtriser l’exploitation, afin de renverser le rapport de force avec les grands patrons de presse.
C’est à cette même période que Capa s’engage dans divers projets auprès d’amis intellectuels. Il accompagne notamment son ami John Steinbeck dans sa traversée de Russie. De cette aventure naît A Russian Journal, dans lequel les images de Capa côtoient les textes de Steinbeck.
Il réitère ce type de collaboration avec la parution en 1950 de Report on Israel, où ses photos, prises depuis la naissance de l’Etat Hébreux deux ans auparavant, sont accompagnées d’un texte du romancier Irwin Shaw.
Le photographe de guerre mort sur le champ de bataille
En 1954, le magazine Life lui demande de remplacer au pied levé un confrère en Indochine, où l’armée française s’enlise peu à peu. Capa accepte. Ce sera sa guerre de trop. En suivant les mouvements de l’armée française après la défaite de Diên Biên Phû, il s’écarte un instant du chemin et marche sur une mine. Il meurt sur le champ de bataille, deux appareils photo dans les mains, laissant derrière lui une œuvre de plus de 70 000 négatifs. La France lui décerne aussitôt les honneurs militaires à Hanoï.
"Si la photo n’est pas bonne, c’est que vous n’étiez pas assez près."
Cette phrase de Capa résume à elle seule ce qui détermine le "style Capa" : des photos prises dans le vif de l’action.
Pour Capa, ce n’est pas tant "l’œil" du photographe qui compte que l’engagement même de son propre corps dans l’action, au plus près des hommes, de leurs souffrances et de leurs joies.
Ce que celui-ci résume parfaitement en disant : "Les photos sont là et il ne te reste plus qu’à les prendre."
Le militantisme politique de Capa prend probablement corps dans cet engagement physique. La prise de risque semble, chez lui, être le pendant nécessaire à l’impuissance du photographe face à la souffrance dont ses images témoignent : "Ce n’est pas toujours facile de rester à part et d’être incapable de rien faire sinon d’enregistrer la souffrance autour de quelqu’un."
Bibliographie
Robert Capa, collection PhotoPoche, Editions Nathan
Death in the making, Robert Capa et Gerda Taro, 1938
A Russian Journal, texte de John Steinbeck, photographies de Robert Capa, 1948
Report on Israel, texte de Irwin Shaw, photographies de Robert Capa, 1950
Liens Internet :
L’exposition "Capa, connu et inconnu" à la BNF