Par Eric Le Braz
PRESSE – Le Parisien cesse de paraître 04/03/2020 – 17h35. PARIS (AFP) – David Martinon, président du groupe Le Parisien Interactive vient d’officialiser la nouvelle qui circulait depuis plusieurs semaines sur l’Econet avec un taux de fiabilité de 97 % : Le Parisien, dernier quotidien français imprimé à capitaux privés, cesse sa parution. David Martinon a appelé l’ensemble de ses collaborateurs (journalistes citoyens, bâtonneurs, anchormen, communautés propagatrices d’infos…) à se mobiliser en faveur du « grand projet d’information virtuelle et gratifiante » destiné à prendre le relais du quotidien défunt.
Le scénario
Trop de journalistes tue le journalisme : l’adage a finalement eu raison de ce métier. Ce 15 mars 2020, la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels a décidé de retirer la carte de presse à 90 % de ses titulaires. « Il ne reste plus que 3 000 journalistes dignes de ce nom dans ce pays, a déclaré Antoine Chazal, président de l’instance représentative des journalistes. Et moi-même je ne suis plus éligible ! » En réaction à ce sabordage, un nouvel organisme devrait voir le jour pour récupérer 60 000 intermittents de la presse. Le Conseil représentatif de l’infotainment et des médias mutants (CRIMM) de Jean-Baptiste Renaud pourrait accorder quatre types de cartes pour couvrir l’ensemble de la profession : 40 000 cartes de journalistes citoyens pour les bénévoles défrayés 3 euros le feuillet, 10 000 cartes de bâtonneurs pour les petites mains des sites qui agrègent les communiqués de presse sur les sites, 3 000 cartes d’anchormen pour les animateurs de communautés propagatrices d’info et environ 6 000 cartes de journamuseurs des sites d’information ludiques comme Rires & Infos et ses fameux widgets.
Cette scission de la profession fait suite à l’annonce de la fermeture du site du Nouvel Ex, le titre issu de la fusion des deux principaux news en 2014. En revanche, Le Parisien, qui avait conservé une version papier, continuera à paraître sous forme de lettre confidentielle en papier pour ses lecteurs âgés, cultivés et aisés. La Lettre du Grand Paris sera protégée par la loi Val qui interdit à tout média numérique de reproduire plus de deux phrases d’un contenu papier. Cette loi votée à la sortie du terrible été 2013 pendant lequel quatre ex-journalistes SDF périrent dans la canicule, a aussi permis la nationalisation du Monde après le dépôt de bilan de 2012. Les cinquante derniers journalistes du quotidien de référence bénéficient désormais de la « redevance papier ». L’extension de cet impôt à la presse magazine est d’ailleurs à l’ordre du jour à l’Assemblée alors qu’il ne reste plus qu’un millier de magazines imprimés en France. Ce n’est pas tant l’emploi des journalistes bénévoles qui œuvrent dans ces supports qui intéressent les députés que la survie des dernières imprimeries dans leurs circonscriptions. La loi Val a aussi favorisé l’éclosion de quelques fondations de défense de la presse qui ont maintenu à flot les sites apparus à la fin des années 2000 comme rue89 ou Mediapart dont les revenus riquiqui n’ont jamais suffi à payer les ambitieuses rédactions.
Paradoxalement, les ancêtres payants sans web et sans pub (Le Canard enchaîné, Charlie-Hebdo) ont brillamment survécu. Et une poignée de groupes cartonnent encore avec, à leur tête, le pôle BFM d’Alain Weil qui a imposé le modèle du journaliste quadrimédia (papier, web, radio, TV). Grâce à sa une renouvelée en permanence sur ses supports numériques dont le fameux PaperPhone d’Apple, Citizen Weil a rentabilisé ses journalistes en réinventant l’économie d’échelle.
Des magazines en croco ?
Certes, les derniers groupes médias ne touchent qu’une cible restreinte encore intéressée par l’info. Mais une cible qui a le pouvoir et l’argent. On paye donc encore cher les emplacements publicitaires dans ces environnements. Et tant pis si 95 % du magot publicitaire se retrouve dans les mouvances de la principale régie planétaire, Goosoft dont les sites satellites n’emploient aucun journaliste…
Heureusement, quelques quasi-médias comme newzy.fr, éligibles aux exonérations fiscales de la loi Val car 10 % de leur contenu est encore produit par des rédacteurs. C’est après sa mise à la retraite anticipée que l’ancien directeur de la rédaction de cette vieille marque, Éric Le Braz, a lancé Uniq, « le journal le plus cher du monde ». Avec sa couverture en croco, son encre en or, ses pages en vélin et, accessoirement, ses sujets exclusifs, ce trimestriel est vendu 10 000 euros à quelques über riches. Ses lecteurs russes et chinois achètent un contenu à condition qu’ils se lovent dans un contenant cher. À l’âge où l’immatériel ne vaut plus rien, l’objet garde une valeur…
Directeur de la rédaction de Newzy