Comprenez un conseil de la presse avec une charte déontologique « universelle » qui lui serait associée. Le président du pôle de réflexion sur les métiers du journalisme est venu refermer, de la sorte, le chapitre des espérances pour tous ceux qui œuvrent à l’installation d’une instance professionnelle garante de la qualité de l’information, comme il en existe dans de nombreux pays. A la place, le patron de presse préfère que soit mis en place des chartes éditoriales propres à chaque journal et à laquelle chaque journaliste serait tenu de souscrire au moment de son embauche.
Que la charte soit dedans ou dehors, après tout quelle importance ? A tous ceux qui se posent cette question, il n’est sans doute pas inutile de rappeler une petite évidence : un texte commun à l’ensemble des rédactions, qui ferait foi dans les entreprises de presse, aurait l’immense avantage d’être l’émanation de journalistes. Et donc un droit opposable à tous les manquements observés dans les rédactions, qu’ils mettent à mal l’actionnaire, les pratiques journalistiques usitées, la ligne éditoriale ou le portefeuille publicitaire. A l’inverse, une charte n’ayant aucune autorité au-delà des frontières d’un journal ne serait, au mieux, que le produit d’un compromis entre des salariés et leur direction. Pourrait-elle peser pour une meilleure prise en compte du public dans le contrat de lecture qui le lie à son journal ? Oui sans doute, mais elle aura pour préalable de ne pas nuire aux intérêts de l’éditeur. Or, le journalisme est aussi cette capacité à « penser contre soi-même », pour reprendre la formule de Charles Péguy chère à Edwy Plenel…
François Dufour, qui préside aux destinées du pôle « presse et société », a donc bien posé les termes du débat existant dans le cadre des Etats généraux. Comment permettre à la profession journalistique d’ériger des règles qui lui sont communes sans pour autant lui concéder un droit d’ingérence dans les affaires intérieures des groupes de presse ? « Il faut reconnaître l’existence de la rédaction et lui donner des prérogatives symboliques, mais pas de pouvoir, sinon on est dans la cogestion », a-t-il résumé le 2 décembre. Le patron de Play Bac Presse va néanmoins plus loin que Bruno Frappat en estimant qu’il y a « quinze ou vingt grands principes universels qui doivent être rappelés » et que la « reconnaissance des collectivités rédactionnelles » est une des pistes à retenir.
Le « livre vert » qui est attendu à la fin décembre et qui reprendra les préconisations issues des Etats généraux ira-t-il jusque-là ? Il faut le croire si l’on en juge par les propos rassurants de Bruno Frappat qui appelle ses pairs à considérer les journalistes non pas « comme une plaie mais comme une ressource ». Il faut le croire si l’on attend de la profession qu’elle procède à l’examen sans concessions de ses carences et qu’on admet avec François Dufour que le journaliste est « très mauvais dans la séparation entre les faits et le commentaire, entre l’information et la publicité ». L’idée même que ces Etats généraux puissent passer à côté d’une véritable remise à plat déontologique paraît d’autant plus absurde que les éditeurs n’ont jamais eu autant besoin du concours réactif et du sens des responsabilités des journalistes pour alimenter leurs sites internet.
Et pourtant… Ce qui ressort des prises de position de la Fédération nationale de la presse française ou du Syndicat de la presse quotidienne régionale semble très éloigné des attentes des plumitifs. Alors que les journalistes sont demandeurs de sens et d’une réflexion sur les contenus pour retrouver une place de choix dans le cœur du lecteur, on entend essentiellement parler d’abrogation de la clause de cession qui serait un frein à l’investissement dans les entreprises de presse. De même, alors que la question des droits d’auteurs nécessite un grand accord interprofessionnel pour sortir par le haut de la nécessité d’une production multi canal, elle n’est posée que dans le sens d’un abandon au profit de l’éditeur, ce qui a le don de faire hurler les syndicats de journalistes. Comment s’étonner après que l’Union syndicale des journalistes CFDT ait choisi, elle aussi, de jeter son tablier et de quitter les Etats généraux… ?
Il y a pourtant dans ces Etats finissants des idées intéressantes comme la réorientation du fond de modernisation de la presse vers les contenus et les études de lectorat, comme le propose le sous-groupe « contenus » du pôle « presse et société ». Mais qui peut nier que ce qui arrive aujourd’hui très officiellement sur la table porte la marque indélébile de l’absence criante des journalistes dans la réflexion globale engagée ? Comment dès lors donner tort au philosophe Bernard Stiegler qui, lors des Etats généraux « off » du théâtre de la colline, à Paris, a diagnostiqué l’absorption de la presse par des industries culturelles déclinantes ? Peut-on réellement traité par le mépris la harangue de cet intellectuel qui prédit la « liquidation de l’opinion publique et du lectorat » au profit de logiques d’audience et de « contrôle comportemental » ?
Reprenons pour finir le film à l’envers. Les Etats généraux de la presse vont probablement se terminer par des préconisations dans lesquelles ne se reconnaîtront pas les représentants des journalistes. Faut-il mettre sur le compte de leur désertion cet état de fait ou bien admettre la pesante réalité que l’horizon politique indépassable de ces Etats généraux était justement l’intégration pleine et entière des préoccupations des journalistes sur l’exercice de leur métier ?
Il faudra probablement voir plus loin et considérer que la vertu essentielle de ces réunions au sommet est à chercher dans la mobilisation sans précédent d’une profession pour prendre en mains son destin. En on mais aussi en off.