Ils marchent. Marchent encore. Continuent à avancer vers la mosquée. A Bagdad, les piétons sont rares. Le spectacle de l’Achoura sous le couvre-feu, c’est ça : des bagdadis à pied. Tous les 150 mètres, un barrage. Policiers, militaires, commandos, miliciens : toutes les ressources disponibles sont au travail. Cagoule pour certains, de peur d’être assimilés par des sunnites de passage à des chiites trop zélés. Interdiction de filmer des visages.
Le nuage de pollution est dissipé. L’air est frais, vif. Agréable, pour une fois. Pour l’Achoura, les dieux irakiens ont même interrompu la grisaille et laissé le soleil s’installer. Nous partons pour le plus grand quartier chiite de la capitale. Les gardes sont contrariés : "On va marcher toute la journée ?". Dans le civil, ils sont en uniforme. Policiers. Le major, le chef de nos gardes, avoue ne jamais marcher. Son revolver le gêne. Il ne sait plus où le mettre : dans la poche de son blouson ? Non, trop voyant. Dans son pantalon, devant ? Ca le fait boiter. Va pour la ceinture, derrière. Il indique aux autres comment faire pour que les badauds ne repèrent pas les armes. Ils sont sunnites. Et pour la journée, entourés de centaines de milliers de chiites.
Sur les ronds-points, les agents de la circulation sont désemparés. Debout à côté de sa Suzuki flambant neuve, un jeune flic applique aux piétons les gestes qu’il destine aux voitures les jours normaux. Point levé, comme les américains : Stop. Paume vers le ciel, presque un salut amical : Avancez. Les piétons sourient. Echanges de politesses. L’opération "Bagdad sans ma voiture" remporte un franc succès.
Khadamiyah. Le cœur de la ville chiite. Ils sont partis de chez eux à l’aube. Des grappes de femmes en noir avancent, doucement, les enfants à la main. Devant, un peu plus loin, les hommes. Certains ont le front ceint d’un large bandeau noir. Avec en lettres d’or le nom de l’Imam Hussein. A vendre, sur le bord de la route, des petits fouets avec chaînes, pour se frapper le dos. Le modèle adulte vaut un peu plus d’un dollar. Le modèle enfant, bradé.
Premiers cortèges. Les tambours de l’Achoura résonnent entre les immeubles des ruelles étroites. Hommes devant, garçons derrière. Le chef de cortège rythme les coups de fouets. Mohammed, un chiite, notre guide dans le quartier, m’explique la technique pour ne pas se faire mal : le poignet frappe contre le haut de la poitrine, arrêtant le mouvement avant que les chaînes ne touchent le dos.
Dans chaque rue, un barrage. Fouille au corps : une file pour les hommes, une file pour les femmes. Les enfants passent. "Notre terreur, c’est une femme kamikaze, il y en a de plus en plus". Le capitaine des commandos du ministère de l’Intérieur accepte l’interview, à condition qu’il puisse enfiler son beau béret rouge et son gilet pare-balles pour la caméra.
Toutes les armes sont interdites. Sauf les sabres. "Mais ils ne sont pas aiguisés". Devant la mosquée, un groupe de pèlerins entame une danse. Pas de sang : les dévots ne vont pas, cette fois-ci, jusqu’à s’ouvrir la tête. La pénitence a ses limites.
En 680, Hussein, petit fils de Mahomet et fils d’Ali, était bien seul, face aux sunnites de Damas. Près de Kerbala, il est mort. Et ses compagnons n’ont pas étés très courageux. En 2008, même l’armée américaine le protège. L’Imam Hussein est sous bonne garde.
Bonne nuit, Bonne journée.
Lucas