En voiture à la recherche des chrétiens de Bagdad. L’idée est de savoir combien ils sont. Comment ils vont. S’ils ont tous fui. Ce qu’ils font quand ils restent. Nous allons dans Karrada, le quartier du centre de Bagdad où se concentrent beaucoup d’églises. Il y a 17 communautés chrétiennes différentes en Irak. Des plus classiques aux plus obscures. Des Eglises aux sectes.
Une grande croix en béton au-dessus d’une église cubique. La rue est barrée des deux côtés. Les visages sont fermés. Avec leurs revolvers et leurs talkie-walkie, les vigiles protègent les Eglises. Elles ont toutes été attaquées ces dernières années. Certaines ont brûlé. D’autres ont sauté. Les messes sont devenues rares, et les fidèles se cachent.
Dans la rue, on croise des regards. A la vue de nos caméras et de l ‘appareil photo de Yuri, ils se baissent. Se détournent. Survivre, c’est se cacher. Comme tout le monde en Irak, mais peut-être plus encore dans ce quartier. Nous tentons de frapper aux portes des Eglises. De forcer un peu. Rien n’y fait. Personne ne veut parler. "Le curé n’est pas là". Il est au Kurdisan. Il est au Liban. Il est en Europe. Il est fatigué.
En fait, le curé est là. Probablement. Mais il ne veut pas sortir. Pas parler. Se montrer le moins possible. Il y a quelques semaines, un curé de Karrada a été tué devant la porte de son appartement, à 15 heures. Comme ça. Parce qu’il était curé.
Des chrétiens de Karrada s’approchent de nous. Posent deux questions. Puis disparaissent. Sans vouloir répondre aux nôtres. La grande croix en béton est triste. On se prend les pieds dans les barbelés qui encerclent l’Eglise vide.
Il paraît que rue Saadoun, deux magasins d’alcool viennent de rouvrir après trois ans de fermeture. Il paraît que les vendeurs sont chrétiens. Les magasins sont ouverts. Et le commerce marche bien. Ça défile pour acheter des bières ou des petites bouteilles de whisky. Je demande si les vendeurs sont chrétiens. Embarras. Confusion. Non, puis oui, timidement, puis Non. Le secret, toujours. Tous les magasins d’alcool de la rue Saadoun ont sauté, eux aussi, un jour ou l’autre.
Le curé n’est pas là. Les vendeurs ne sont pas chrétiens. Pour vivre malheureux, ils vivent cachés.
La nuit sera courte. Départ pour le Sud au milieu de la nuit.
Bonne nuit, Bonne journée.
Lucas