Départ tôt ce matin. Nous avons rendez-vous au ministère des Affaires Etrangères. Et ici comme ailleurs, ce sont des gens qui ne rigolent pas toujours. Avec des horaires, des rendez-vous, des bureaux, des badges… Pas des miliciens, quoi.
Sur Karrada, premier embouteillage. Mais ça passe. Arrivée sur Saadoun, bloqués. Un quart d’heure. Une demi-heure passe. Nous n’avançons pas d’un pare-choc. Déjà, un embouteillage à Bagdad, ce n’est pas très agréable par les temps qui courent. Trop de monde, pas de possibilité de s’échapper. Les coups de fil entre mon chauffeur et les gardes, derrière, deviennent de plus en plus fréquents. La fumée noire qui s’échappe d’une voiture sur deux sature l’air. Plus besoin de fumer. Les klaxons, modèles Moyen-Orient (longs, forts, et à usages illimités) s’énervent. Une heure.
Personne ne comprend. "C’est bizarre, on a pas entendu d’explosions, ni de sirènes". Pas d’attentat pour le chauffeur. "Ou pas encore". Coups de téléphones. Pour s’excuser. Mais le fonctionnaire, notre contact, lui aussi, est bloqué à l’autre bout de la ville. Et ne sait pas pourquoi.
La réponse vient de la rédaction en chef. « Hello Lucas, tu peux être en direct le plus vite possible ? Parce que Condi Rice vient à Bagdad !». Et merde. Bloqué au milieu de Bagdad avec un direct à faire. Au moment où la Maison Blanche annonce le départ de Condi, la radio irakienne confirme qu’elle est en fait déjà arrivée.
Au moins, nous savons pourquoi nous sommes bloqués. Quelques minutes à peine, et les hélicoptères de Blackwater survolent le centre-ville. De petits hélicos nerveux et rapides. Un bruit de grosse guêpe. Des mercenaires assis sur les marches pied, mitrailleuse en main. Chargés, pour le compte de l’armée, de s’assurer que l’embouteillage est efficace et que personne n’approche la zone verte.
Je fais part à l’équipe de l’impossible défi : demi-tour. 25 minutes avant le direct à l’antenne. « Inch’allah », dit Ali, qui fait monter la Chevrolet sur le trottoir. Tranquille, il passe sous le nez d’un blindé irakien. Puis, d’un geste de la main, demande à un policier bien installé dans son pick-up de reculer. Chose faite, tout en maugréant une réponse peu amène avec d’autres signes de la main.
Depuis plusieurs jours, la rumeur se répandait : Bush va venir en Irak. La presse américaine s’y préparait. Au cas où. "De toutes façons, on l’apprendra certainement une fois qu’il sera parti", m’expliquait Mark. Finalement, c’est la secrétaire d’Etat.
La dame est en ville. Ou presque. En zone verte, pour une heure ou deux.
Voitures bloquées, il n’y ni files ni feux. Des conducteurs qui s’énervent. S’insultent par les fenêtres. Sortent des voitures pour crier plus fort. Hurlent sur les policiers. Condoleeza Rice, elle, est venu "encourager le Premier Ministre à aller plus loin sur la voie de la réconciliation nationale." A Bagdad, aujourd’hui, ça n’avait pas l’air gagné. A moins, que, au contraire… Un embouteillage, signe fort d’unité ?
Nous sommes à l’heure pour le direct.
Bonne nuit, bonne journée,
Lucas