En Irak, aussi, on fait de la politique. Tous les jours, avec ardeur. Les télévisions retransmettent, ici aussi, les interminables débats au Parlement. Les discours des ministres, les conférences de presse. Aujourd’hui, c’est le budget. Personne n’est d’accord, et il y a peu de chance qu’il soit voté. Les vacances parlementaires approchent. Personne ne sait combien de temps elles dureront.
Il y deux semaines, les médias irakiens et internationaux célébraient la loi sur « la transparence et la réconciliation ». Une loi pour autoriser le retour des anciens membres du parti Baath dans les administrations. « A condition qu’ils n’aient pas de sang sur les mains ». Qui permet aussi aux anciens cadres du régime de Saddam Hussein de toucher leur retraite. Une loi voulue par Washington, qui a fait pression pour que le Parlement l’adopte au plus vite. Et pourtant…. Qui se souvient de Paul Bremer ? En mai 2003, cet administrateur colonial de l’Irak interdisait le parti Baath, et l’armée irakienne. Il aura fallu 5 ans pour comprendre l’erreur…
Aujourd’hui, j’apprends que cette loi n’est en fait pas passée. Et qu’elle ne sera pas appliquée avant… personne ne sait, en fait. Pour que la loi soit appliquée, il faut qu’elle soit signée par le Président, ses vice-présidents, le Premier Ministre, et ses vice-premier ministres : autant dire que plus personne n’en parle.
« La loi sur la transparence et la réconciliation est un grand succès ». Ce sera dans le discours de George Bush, cette nuit, quand les irakiens dormiront. Ce doit être pour ça que le discours sur l’Etat de l’Union est aussi tard. Pour ne pas déranger les irakiens qui dorment. Il parlera sans doute de la baisse de la violence. Du nombre d’attentats en diminution. Des sunnites qui se sont ralliés à sa cause.
Tout à l’heure, 5 soldats américains ont sauté sur une mine à Mossoul. Tous morts. Ils étaient en patrouille dans une rue calme. La semaine dernière, le commandant de la police de Mossoul était tué. Le commandant. L’homme le plus protégé de la ville. Hier, 5 étudiantes étaient enlevées dans l’enceinte de l’Université de Bagdad. « Sans doute parce qu’elles parlaient un peu fort et qu’elles faisaient les fières », m’a-t-on expliqué.
En août, George Bush venait en Irak serrer la main d’Abou Richa. Le fondateur des milices Al Sahwa, près de Fallujah. Ces valeureux guerriers passés du côté américain « par amour de la démocratie ». Va-t-il se souvenir qu’Abou Richa a été tué 5 jours après cette célèbre accolade ? Il est mort quand un membre de sa propre famille a fait exploser sa veste piégée en l’embrassant. Les irakiens, eux, s’en souviennent. Les 80 000 miliciens d’Al Sahwa attendent. Mais pas très longtemps. Ils veulent leur part du pouvoir. Hier, le commandant de la police de Fallujah, installé par les américains, se souvenait : « Le jour de la chute de Saddam a été le pire jour de ma vie ».
Ce sont donc eux. Les nouveaux amis de l’Amérique. Que George Bush va remercier cette nuit. George Bush va parler. L’Amérique écoute. Les Irakiens dorment. Demain, ils souriront peut-être un peu.
Bonne nuit. Bonne journée.
Lucas