Aller à Adamiyah, c’était impossible il y a 3 mois. Trop dangereux. Trop incontrôlé, et tenu par Al Qaïda. C’est juste un quartier de Bagdad, majoritairement sunnite. Où l’on ramassait le matin les cadavres de nuit, comme des ordures dans une autre ville.
Aujourd’hui, c’est faisable. On a donc rendez-vous.
On aurait pu mettre 20 minutes. Il a fallu deux heures. En entrant sur le pont du 14 juillet, on se retrouve derrière 3 "strickers", les nouveaux blindés américains. D’énormes bêtes blindés, grillagées. 12 soldats dans chaque véhicule, sans fenêtres. A l’intérieur, les GI’s peuvent voir le monde extérieur sur des écrans plats. L’Irak, à la télé, et avec clim. Sur le toit, une civière, arrimée comme une bouée.
Il doit se passer quelque chose. Quelque part. Une soudaine tension. Les strickers roulent à 10 kilomètres heures. Devant eux, des bras articulés qui tiennent des chaînes. Les chaînes raclent le sol, pour faire exploser les éventuelles mines.
Nous, derrière, à 150 mètres. Comme l’oblige le panneau accroché au dos du dernier blindé. L’embouteillage se forme. On se détend. Ca va être long. Regards, échanges de sourire. Mes gardes sortent de leur voiture, et marchent à côté de la mienne. Je me demande si ce n’est pas un peu trop visible. Ils se disent la même chose, ou se lassent. Et remontent dans la leur.
Des hélicoptères volent, passent et repassent. Rien à la radio. Rien au téléphone. Il doit pourtant se passer quelque chose. Les palmiers des bords du Tigre ne bougent pas. Figés par les 6°, rare froid bagdadi.
Arrivée à Adamiyah. Enfin, après les chicanes et les check points du "Réveil", ces milices sunnites anti-Al Qaïda. "Un jour ils sont pour, un jour contre. Le problème, c’est qu’ils ne préviennent pas …" Rire du chauffeur. Son fatalisme explique toute la fragilité du calme du mois de décembre.
Interview rapide : la police vient frapper à la porte de la maison. L’étranger ne doit pas rester ici. C’est interdit.
Aller à Adamiyah, c’est donc possible.
Sur la route du retour, une information à la radio : les bombardiers américains viennent de larguer 18 tonnes de bombes sur caches d’Al Qaïda. A 7 kilomètres de Bagdad. C’était donc ça.
Dans le centre ville, les vitres de la Caprice tremblent. Une explosion. Les voitures s’arrêtent. Embouteillage. Interdiction de bouger. Deuxième explosion : double attentat piégé rue Saadoun, la rue la plus commerçante de Bagdad.
Un bombardement, deux attentats. Un matin, à Bagdad.
Le calme, comme les vitres, a volé en éclat.
Bonne nuit, bonne journée,
Lucas