Par Nidam Abdi (1), Gilles Flament et Bruno Guillard (2)
Pour s’informer sur leurs multiples centres d’intérêt, les Français effectuent chaque année 40 milliards de recherches sur Internet. Ces recherches ne génèrent pas moins d’un milliard d’euros de valeur publicitaire,manne financière qui atterrit directement…dans les poches de différents moteurs de recherche. Parallèlement, les noms de titres de nos grands magazines de presse sont tapés moins de 500000fois.De façon saisissante, ces données traduisent la non-compréhension par les médias traditionnels du modèle numérique.
Le lecteur et l’internaute ont deux démarches opposées. Posons-nous d’abord une question très simple: "Que fait le lecteur pour accéder à une information suite à la lecture d’un texte ?"
Dans le monde réel,un lecteur désireux de s’informer sur un sujet (états généraux de la presse, par exemple) entre dans un kiosque et achète le journal en qui il a confiance. Il lit ensuite l’article, de manière libre, isolée et dans la durée.
Dans le monde virtuel, il tape directement dans la barre du moteur de recherche: «états généraux de la presse». Puis il va virevolter parmi les multiples réponses vraies ou fausses qu’il obtient…Et s’il a la chance de trouver une information intéressante exprimée par un titre de presse, il doit la consommer immédiatement sous peine qu’elle ait disparu une heure après pour laisser place à une autre information. Il examinera ensuite les différents commentaires, blogs ou réseaux sociaux pour comparer les différentes réactions.
En résumé, l’internaute commence par exprimer un besoin, puis il zappe sur la multitude des
Liens proposés par le moteur. Et pour se rassurer, il teste la vraisemblance ou la véracité des réponses retenues.
Le positionnement actuel de la presse en ligne relève de l’erreur de stratégie. Pour ses propres sites Web, on aurait pu penser que la presse écrite allait adopter une stratégie consistant à fournir une information à la fois riche, profonde et incontestable, de telle manière que l’internaute n’ait aucun doute sur le professionnalisme ayant présidé à sa diffusion.
En fait, la presse écrite a abandonné aux réseaux sociaux la fonction de conforter l’internaute dans sa lecture pour se concentrer sur les fils d’actualité, les informations instantanées, les brèves qui sont les nouveaux rois des sites de presse enligne, au détriment du dossier,de l’analyse,de la distanciation et du fond.
Alors que les réseaux sociaux maintiennent la visibilité de leurs contenus pour que les internautes les actualisent ou les rectifient, les sites web des magazines entretiennent a contrario une vision fugitive de leurs articles, un sujet chassant l’autre, un journaliste éclipsant son confrère le temps d’un clic. Pour autant, la presse en ligne n’a pas gagné cette course de vitesse, car elle est devancée par les agrégateurs de type Google News, lesquels ont réussi l’exploit d’informer à la seule lecture d’un titre.
La presse est dépassée sur ses deux flancs. Au grand jeu de la vitesse, les frustrations se multiplient. L’annonceur est mécontent car ses publicités ne sont ni regardées, ni efficaces. Le journaliste est déçu parce qu’il est dépossédé du temps consacré à creuser un thème. Enfin, l’internaute est inquiet de ne pas avoir recueilli une information en qui il puisse avoir spontanément confiance.
Accompagnant le développement des vidéos, du Web 2.0 et de l’affiliation, les groupes de presse se lancent maintenant dans une nouvelle fuite en avant : le cross média, qui permet l’intégration au Web, de la vidéo,de l’audio,des commentaires, des boutiques en ligne…mais le Web et ses nouveaux artefacts ne doivent être que le moyen et non la finalité.
Souvenons-nous que la presse écrite possède deux trésors. En premier lieu ses archives, c’est-à-dire son passé, son histoire, notre mémoire collective. Un outil incomparable pour ne pas laisser l’impression que l’on transmet immédiatement de la main droite ce qu’on a reçu de la main gauche, sans y jeter le moindre regard. En deuxième lieu ses journalistes et ses documentalistes, c’est-à-dire des professionnels formés et rompus à sélectionner, analyser,mettre en perspective, croiser, associer, comparer, contextualiser, bref une compétence,une capacité à conférer une pertinence et une valeur ajoutée à l’information.
Faisons confiance à l’internaute pour qu’il les identifie et qu’il finisse par exprimer sa reconnaissance par sa fidélité !
(1) Nidam Abdi est journaliste ; (2) Gilles Flament et Bruno Guillard sont experts en nouvelles technologies. Tous les trois développent le projet Eguides.fr