Dans le cadre des états généraux de la presse et des rencontres qui ont réuni les professionnels du secteur depuis le mois d’octobre, un sujet a été occulté. Celui des véritables causes de l’impasse économique dans laquelle se trouve la presse écrite. Si la qualité éditoriale était seule en cause, on pourrait certainement accepter que le remède ne vienne que d’une remobilisation intellectuelle des professionnels de l’information. Mais il semble inimaginable que du jour au lendemain, les journaux aient perdu toute qualité rédactionnelle. L’histoire de l’imprimerie et de la presse nous apprend que toutes les mutations depuis Johannes Gutenberg, au XVe siècle, sont dues à des innovations technologiques.
On oublie que l’inventeur allemand de l’impression a d’abord suivi un apprentissage d’orfèvrerie à Strasbourg, qui lui a appris la maîtrise des alliages afin de créer des caractères composés à base de plomb, fer, étain et antimoine. De même, lorsqu’en 1795 Charles Stanhope inventa la presse à imprimer en métal qui allait remplacer celle en bois jusque-là instable, ce fut une mutation majeure. Ou encore, lorsqu’en 1814 les Allemands Friedrich Koenig et Andreas Friedrich Bauer proposent au patron du Times de Londres d’associer leur invention, la presse à cylindre, à la machine à vapeur ; cette découverte permettra l’augmentation du tirage des journaux. Enfin, la création en 1886 de la linotype (machine à écrire en caractères de plomb fondu) par Ottmar Mergenthaler a décuplé le nombre de page à éditer.
Ainsi, au regard de ces mutations majeures dans l’histoire de l’imprimerie et de la presse écrite, on ne peut s’étonner qu’aucun ingénieur ou technologue n’ait été invité aux débats sur la presse et sa diffusion numérique. Est-il possible que la commission Internet des états généraux de la presse ait pu auditionner les responsables du moteur de recherche Google, sans l’assistance d’ingénieurs et de technologues, ayant une compréhension technique du bouleversement qu’a engendré la multinationale sur le marché publicitaire des journaux ?
Pouvons-nous encore débattre, nous journalistes, avec des économistes, des historiens, des publicitaires… de la presse, alors que les solutions à la crise de notre secteur professionnel sont en partie entre les mains d’ingénieurs en électronique, en électricité et en robotique ?
Les états généraux de la presse ont été clôturés le 23 janvier, sans la contribution d’un professionnel des sciences techniques. Cela rappelle un précédent dans l’histoire de la presse française. En juillet 1948, les ingénieurs Louis Moyroud et René Higonnetont quitté la France en famille pour rejoindre les Etats-Unis. Ils venaient d’inventer un prototype d’une machine qui permet la composition de caractères par système photographique. En France, la presse naissante de l’après-guerre n’a pas cru à leur invention qui allait bouleverser l’industrie graphique américaine. La France attendra jusqu’aux années 1970 pour que la Lumitype Photon de Moyroud et Higonnet fasse entrer la presse écrite de notre pays dans l’ère de l’informatique. Cette invention qui porte le nom de photocomposition a permis à un quotidien de connaître son apogée au début des années 80. Son nom est Libération.
Nidam Abdi journaliste, membre de l’équipe du moteur de recherche Eguides.fr
Article paru dans les pages "Rebonds" du Libération daté du 28 janvier 2009